GRAFFITI: PEINTRES ET VANDALES Graffiti: Peintres et Vandales – Entretien avec Amine Bouziane, le réalisateur du film de France4 et TV5 Monde. ENGLISH VERSION HERE Amine Bouziane – portrait by Good Guy Boris Peux-tu nous dire quel est le sujet du film? Comment le film est né? Y-a-t-il une histoire qui t’es inspiré pour faire ce film ?Dans quels pays tu as tourné ? Le documentaire traite du paradoxe du graffiti, partagé entre son explosion commerciale, sa reconnaissance institutionnelle d’une part et de l’autre sa répression de plus en plus féroce. Ces dernières années, on a vu les codes esthétiques du graffiti digérés et repris un peu partout, aussi bien dans la mode, dans la pub, le marketing… Le marché de l’art s’est aussi entiché du graffiti, même si il reste encore trop souvent l’enfant pauvre du street art mais disons que la multiplication des ventes aux enchères, des expositions et des galeries ont facilité son acceptation. Et puis il y a la récupération symbolique par les politiques et les institutions. En marge de tout cela, la répression n’a jamais été aussi forte avec une pénalisation plus aigue. Les amendes n’ont jamais été aussi lourdes et exorbitantes. Les procès et les peines de prison ferme viennent plus souvent ponctuer la vie de ce qu’on appelle les vandales. Il n’y a plus vraiment de traces de leurs passages puisque la RATP et la SNCF nettoient rapidement. Mais est-ce qu’on peut dire qu’un pan d’une culture n’existe plus parce qu’elle n’est pas visible ? Le paradoxe et l’ambivalence du graffiti partagé entre l’ombre et la lumière est l’idée et le postulat de départ. Un documentaire nait toujours de questions qu’on se pose. Je me disais : “est-ce que ça peint encore sur métro à Paris ?” Je savais que l’inter rail avait massivement internationalisé les choses mais je me demandais si des Français peignaient encore sur métro chez eux, à Paris. Ensuite, je me demandais si la défiance des graffeurs restait toujours aussi forte par rapport au monde de l’art et comment ils opéraient leur transition dans un monde où les règles ne sont plus les mêmes. Qu’est-ce que le monde de l’art connait du graffiti et comment un art et une culture qui reposent sur la transgression, l’interdit et qui cultivent la marge s’insèrent et s’intègrent dans le marché de l’art ? Le graffiti est-t-il devenu soluble dans ce fourre-tout qu’est le street art ? Ce sont toutes ces questions que je me suis posé en amont du film et pendant le tournage. C’est tout cela qui a sous-tendu l’envie de faire ce film. Et à la fin, on trouve des pistes de lecture et on a envie de faire partager son regard. Mais ça reste qu’un regard subjectif sur cette culture. Ca n’a pas vocation à être parole d’évangile. J’ai filmé en France, en Allemagne, en Italie. En Belgique et au Brésil aussi. Disons qu’à un moment donné, ça devenait dur de s’arrêter parce que je voulais plus et puis il a fallu s’arrêter, boucler et parfois faire des choix en conservant telle ou telle séquence. Je n’ai par exemple pas gardé dans la version télé la Belgique et le Brésil mais j’exploiterai ces parties dans la version DVD. Zevs Peux-tu révéler le casting du documentaire? Est-ce qu’il a été difficile de les avoir ? Il y a plusieurs générations qui se succèdent dans le film. Chacune avec ses motivations et sa vision du graffiti. Mais au delà des générations, il y a des regards différents qui font que la culture graffiti en général et la scène vandale en particulier ne sont pas des monolithes. Je vais mentionner uniquement les artistes avec lesquels j’ai pu tourner des séquences et des actions en ce sens où c’est, je trouve, ce qu’il y a de plus fort. Keag et Sore se définissent eux-mêmes comme vandales et ne sont pas intéressés par le monde de l’art. Ils pratiquent le graffiti comme ils l’ont toujours connu, dans le culte du secret et de l’anonymat. Le graffiti, c’est une vie parallèle et une passion attenante à leurs vies quotidiennes. Pour eux, le graffiti, c’est une catharsis. Il y a quelque chose de pur dans leur démarche qu’ils ne veulent pas pervertir. KEAG A ce binôme s’adjoint Junky qui partage la même vision, à ceci près qu’il est plus ouvert au monde de l’art. Il fait des toiles, expose et pratique le graffiti comme une activité pluridisciplinaire. La peinture illégale qu’elle soit dans la rue ou sur roulant n’est pour lui qu’une autre variable d’une culture plus vaste comme le graffiti en terrain par exemple, qu’il pratique aussi. See est issu de la même génération. C’est un vétéran du métro parisien qui a exclusivement peint à Paris et qui, malgré les amendes et la prison, poursuit le vandale sur roulant, sans changer de blaze ou de pseudo. Il a décidé de rester fidèle à son nom et du coup, il s’expose lourdement. Depuis 2013, il apparait à visage découvert et poste ses vidéos sur les réseaux sociaux. Pour lui, le graffiti est constitutif de son identité quoi qu’il puisse lui en coûter. Zevs est lui aussi issu de la même génération. Il a su jouer avec les codes du graffiti et les transgresser pour donner naissance au street art, dans son acceptation la plus noble. Ses flops étaient déjà plus figuratifs et il quitte rapidement l’orthodoxie du graffiti classique avec son travail d’ombres sur le mobilier urbain, les liquidations, le visual kidnapping ou encore les graffitis propres. C’est aussi quelqu’un qui a opéré la bascule vers l’art contemporain. Ce qui est intéressant, c’est qu’il va à l’encontre de ce lieu commun qu’entretient le marché de l’art sur l’idée que la production in-situ est forcément moins élaborée, plus archaique que celle proposée dans l’institution. Il met en branle ce principe. Son travail dans la ville fonctionne en miroir avec sa production dans les institutions. C’est aussi un artiste qui a continué à travailler dans la rue alors qu’il avait déjà opéré la transition en galerie. Je pensais qu’après son arrestation à Hong Kong, ce serait plus dur de tourner des séquences en illégal mais pas du tout. Il a signé pour moi les séquences les plus fortes du documentaire. Il a cette acuité de toujours relier ces actions à une idée. MOSES & TAPS™ J’ai voulu internationaliser aussi les perspectives avec Utah & Ether d’un côté et avec Taps & Moses de l’autre. Ils sont plus jeunes que les artistes mentionnés avant et ils illustrent assez bien cette dimension plus internationale, globale et mondialisée qui s’est développée via l’inter rail. Les deux fonctionnent en binôme et incarnent cette idée d’émulation et de compétition dans le graffiti vandale. Chacun le fait à sa manière. Taps & Moses s’illustrent par la qualité de leur boulot sur roulants, notamment pour leurs whole cars. Leur travail est extrêmement abouti avec parfois une démarche plus conceptuelle. Utah et Ether incarnent une conception plus classique et orthodoxe avec un nombre hallucinant de systèmes à leur actif. Ils représentent de manière extrême ce principe transfrontalier et nomade du graffiti. Pour eux, le graffiti, c’est devenu une expérience libertaire quelqu’en soit le prix à payer. Je voulais vraiment les avoir parce qu’ils sont jusqu’au-boutistes dans leur démarche. D’une certaine manière, il n’y a plus de marche arrière et ils ont totalement dédié leur vie à cela. Il y a un côté héros romantiques des temps modernes. J’ai une affection particulière pour eux. J’avais entendu beaucoup de choses sur eux. Ils sont comme ci, comme ça. Ils ne respectent rien. Un tas de légendes urbaines comme le graffiti les aime. En réalité, j’ai rencontré des gens carrés, humbles et vraiment attachants. UTAH & ETHER Saeio est plus jeune encore. Là, on parle de rue et plus de roulant. Ce qui est intéressant, c’est qu’il illustre une nouvelle génération avec des aspirations et des opportunités qui étaient totalement inimaginables pour les générations antérieures. Il peint illégalement dans la rue en même temps qu’il expose et produit des oeuvres dans un cadre institutionnel. Un grand écart que l’époque a rendu possible. Il représente bien cette ambivalence et le paradoxe que vit le graffiti. Entre grandeur et décadence, ombre et lumière, reconnaissance et pénalisation. En même temps que Saeio était jugé, il exposait à Artfair des oeuvres qui se sont toutes vendues. Il maitrise aussi bien les codes du graffiti, même si avec son groupe, les PAL, il cherche à les déconstruire, que les référents de l’art. On retrouve dans sa peinture des influences qui dépassent celles du graffiti comme le collectif coBrA et Pierre Alechinsky. Non, ça n’a pas été si dur que cela d’établir un contact avec les artistes. J’ai commencé rapidement à tourner avec Keag, Sore et Junky et les parties plus institutionnelles en galerie, en salle de ventes et avec Jonone notamment. Je me disais que ça allait être dur de trouver des graffeurs désirant être filmés sur du plan métro, à Paris. Et puis See a accepté. Et c’était du pain béni parce qu’avoir quelqu’un qui ne souhaite pas être flooté, c’était au delà de toutes mes espérances. Ensuite Zevs a accepté avec un concept fort et je me disais: est-ce qu’on parviendra à tourner ? Et ça s’est fait. Puis les choses se sont enchainées assez vite. Un mois et demi après avoir tourné avec Zevs, je complétais mes tournages avec Utah & Ether puis Taps & Moses. J’ai privilégié les actions et les séquences “live” au côté “témoignage”. Il y a pas mal d’autres intervenants que les gens pourront découvrir lors de la diffusion. Les graffeurs sont sujets parfois à des rivalités. Est-ce que cela a p créer des interférences dans ton travail ? Quel est ton opinion entre le monde des peintres et des vandales et le paradoxe dont tu parles ? SAEIO Effectivement chacun a une vision affirmée parfois même exclusive de ce qu’est le graffiti. A cela se mêlent les logiques de groupes et les rivalités mais disons de manière générale, j’ai l’impression que c’est un univers moins crispé qu’il y a quelques années. Après, je ne nierais pas qu’il y a toujours un peu d’ego mais c’est un milieu comparativement à d’autres sphères artistiques, qui est propice à l’échange. On te renvoie ou te présente telle ou telle personne et ça va assez vite finalement parce qu’en définitive, ça reste un microcosme. Je ne peux pas dire que j’ai rencontré de difficultés particulières. Au contraire, j’ai plutôt rencontré de la bienveillance et des gens passionnés par ce qu’ils font. Pour répondre à la seconde partie de ta question sur le titre, son interprétation est libre. Initialement, j’avais proposé à l’une des chaines qui diffusera le documentaire, le titre : “Graffiti: entre deux mondes”. Certes, il était moins direct mais il avait cet avantage d’éliminer l’idée d’une opposition formelle. Après, on peut entendre le titre “Peintres et vandales” de différentes manières. On peut les opposer. C’est ce que fait la société en considérant l’acte de peindre illégalement comme du vandalisme alors que la peinture légale est acceptée socialement. Elle devient un art alors qu’elle est considérée comme un délit dès lors qu’elle s’invite là où on ne la désire plus. Mais on peut aussi les associer, c’est cette idée que je retiens. Au delà de son côté interdit et transgressif, il s’agit bien de peinture. Je crois que la grande force du graffiti est là en ce sens où il questionne et interroge sur la place de l’art dans la société. Est-ce que l’art doit s’exprimer dans un espace que lui concède la société ou est-ce qu’il doit s’inviter et la conquérir ? Pour moi, un graffeur vandale est d’abord un peintre. C’est la peinture qui est constitutive de ce qu’il est et de ce qu’il fait. C’est le regard et l’acceptation sociale qui déterminent si c’est du vandalisme ou de l’art. On peut aussi discuter de ce qu’est le graffiti. Une fois qu’on supprime l’illégalité et la transgression, est-ce-qu’on peut encore parler de graffiti? Utah et Ether ou Keag et Sore répondent à cette question dans le film. Après, les codes et les règles entre le graffiti vandale et le marché de l’art ne sont pas les mêmes. Et cette distorsion est parfois difficile à vivre pour les graffeurs. Le monde de l’art, je pense, reste encore dubitatif face au graffiti. Englobé dans le Street Art, il devient acceptable et soluble. Mais pris comme tel, il est difficile pour les institutions d’appréhender le graffiti. Même si le graffiti a trente ou quarante ans, les institutions ne l’appréhendent que de manière formelle. Dis-nous en plus au sujet des vandales: est-ce que certains ont refusé de participer? Et pourquoi? Penses-tu que les vandales veuillent rester anonymes? Comment as-tu pu leur garantir que tu ne travaillais pas pour la police ? SEE – RATP/Metro access keys Il n’y a pas eu de refus qui ne soient justifiés. Certains venaient d’être jugés ou allaient l’être et dans ce cadre-là, ils voulaient éviter d’avoir à nouveau des problèmes. Et de se faire une mauvaise publicité. Le graffiti vandale fonctionne comme une micro société faite d’initiés qui cultivent et aiment le goût du secret. En même temps, les investigations et les procès leur donnent raison. Je pense qu’il y a une certaine défiance du graffiti face aux médias mais l’objectif premier dans le graffiti est d’être le plus vu. Après, chacun fait avec sa jauge personnelle et voit si la visibilité vaut le risque encouru. See m’a demandé la première fois si je travaillais ou non pour la police. Une fois que le doute était balayé, on a pu commencer à parler. D’autres m’ont demandé quelles étaient mes motivations et quels étaient les propos du film. Je pense que c’était une manière d’appréhender qui j’étais et ce que je faisais. Comme je te le disais, les choses vont vite dans le graffiti et je pense que tout le monde savait qu’un mec était en train de faire un documentaire donc disons que ça a sécurisé les uns et autres. Quelles vertus à tu découverts chez les vandales ? Y-a-t-il des caractéristiques qui lient tout ce monde des vandales ? Good Guy Boris Je pense que peindre du roulant est une passion exigeante voire même un métier pour certains. Sans l’ombre d’une rémunération ou d’une promotion puisqu’il n’y a rien à gagner dans le graffiti vandale et tout à y perdre. Tu t’inscris contre le système ou un système tout au moins qui est celui de la SNCF et de la RATP. Il y a un truc anti-social qui te place d’office en marge. Aujourd’hui, il y a des corps de police dédiés à cela et les pays les plus avancés en matière de répression font partager leur savoir-faire dans ce domaine. Donc, tu découvres toute une faune de “writers” obnubilés par la police ferroviaire, Gare de Lyon (Gare du Nord, GDN pour les anciens) et tout ce qui peut les enfreindre dans leur passion. C’est un milieu où les histoires et les légendes se propagent oralement. C’est internet avant internet. Le graffiti, c’est d’une manière l’aventure à moindre frais jusqu’au moment où les amendes tombent. Une manière d’enchanter le quotidien en découvrant des lieux où personne ne va. De redécouvrir la ville d’une autre manière. Et c’est ce qui m’a le plus intéressé. Aller dans un dépôt, même pour quelqu’un comme moi qui ne peint pas, c’est une forme de privilège. C’est toute une ambiance. Après, ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a pas de profil type. Il y a des profils très divers, avec des origines sociales différentes, des parcours et des trajectoires différentes. Il y a plusieurs manières de vivre le graffiti désormais. Avant, tu avais ceux qui s’inséraient dans le monde classique et qui vivaient leur graffiti dans l’ombre, comme une soupape. Et puis les autres qui ont tout mis dedans et à mesure qu’ils avancent dans leur passion et dans l’âge, ils se désociabilisent sans forcément pouvoir y trouver des débouchés. Aujourd’hui, le marché de l’art permet d’entrevoir d’autres perspectives. Le graffiti devient plus sexy. Il s’est inscrit dans l’inconscient collectif. Qu’est-ce que les vandales ont a apprendre des peintres ? II. Au sujet des peintres: Quelle différence vois-tu concernant la compétition entre peintres comparativement à celle des vandales ? Splash on train wagon by MOSES & TAPS™ Je crois que le monde de l’art et le graffiti s’empruntent mutuellement des choses.Toute cette esthétique des coulures, de la saturation, de la punition est aujourd’hui communément acceptée dans le monde de la galerie mais elle vient directement du graffiti vandale. Elle est aujourd’hui reprise par des peintres académiques mais elle a été très largement vulgarisée par le graffiti. Avant le graffiti, Jackson Pollock et les peintres abstraits avaient déjà institué le dripping. Ce qui veut dire que tout s’infuse et se télescope. Ce ne sont pas deux mondes en vase clos. Je dirais que le monde de l’art et les institutions ont quelque chose à apprendre du graffiti en général et du graffiti vandale en particulier. D’abord que ce n’est pas de l’art brut, c’est une culture avec ses propres références, ses écoles, ses codes. Pour répondre à ta question, je dirais que les règles ne sont plus les mêmes. D’un côté, il y a des critères plus ou moins objectifs que se fixent les vandales et qui sont communément admis: la quantité, la qualité, la visibilité, la durée et de l’autre, les règles du marché. Je trouve que la métaphore utilisée par Keag est assez juste. Le graffiti, c’est une forme de compagnonnage où il y a des étapes et des rites à passer pour être respecté de ses pairs. De l’autre, il y a la côte de l’artiste. Cela crée une distorsion qui est difficilement admissible et comprise par les graffeurs vandales. Je dirais que la marge d’évolution d’un vandale est beaucoup plus longue et discontinue que celle d’un artiste qui produit en atelier. La peinture vandale doit composer avec les interactions extérieures, les failles et les desiderata. Ce sont elles qui conditionnent le résultat. Azyle a mis vingt ans pour parvenir à maitriser la saturation et c’est ce qui lui confère son intérêt. Dans un cadre institutionnel, le temps aurait été bien moindre mais la valeur symbolique en aurait été fortement diminuée aussi. Il y a des vandales qui ont très vite arrêté d’esquisser, de peur d’être interpellés et d’avoir sur eux des preuves qu’ils peignaient. Forcément, leur manière de peindre s’en trouve complètement bouleversée. A l’inverse, les peintres institutionnalisés doivent composer avec le marché et adapter leurs productions consciemment ou inconsciemment là où la peinture vandale est dénuée de calculs. Les graffeurs sont passés maîtres dans le Do It Yourself et la démerde. Ils parviennent à créer des réseaux parallèles, à agréger des communautés Facebook, à sortir des fanzines, des livres. Lorsqu’ils utiliseront tout ce savoir-faire en direction de l’institution, ils parviendront à émerger, à se faire entendre. Pour le moment, le graffiti se sent redevable et l’obligé du monde de l’art. Quand ce rapport de domination sera aboli, il en sortira quelque chose de plus fort. Qu’est-ce qui permet à un artiste de vendre plus et mieux ? Comment un vandale devient-t-il un peintre ? Est-ce qu’un vandale peut devenir en même temps qu’il est vandale un artiste reconnu ? l’abandon de l’une permet-t-il de s’améliorer dans l’autre discipline ? SAEIO Aujourd’hui, les salles de ventes permettent d’établir une côte rapidement. Une côte qui, même si elle peut être artificielle, permet à un artiste, de dire je vaux tant. Ca sert de valeur étalon pour les collectionneurs. En ce sens, on est dans une mécanique de marché et purement de marché. Avec le graffiti et le street art, il y a eu l’émergence d’une nouvelle communauté de collectionneurs et la multiplication d’artistes hétéroclites qu’on a désigné par un terme générique et un peu foutrarque de street-art. La demande est forte et l’offre importante. Du coup, les galeries ont mis un peu de temps à se positionner et à jouer leur rôle. Les salles de ventes ont senti le filon et se sont positionnées parfois plus rapidement que les galeries. On se retrouve alors dans une situation où le second marché a de l’avance sur le premier marché. Des artistes qui n’ont jamais vendu d’oeuvres et qui n’ont jamais exposé dans une galerie se retrouvent à vendre en direct à des salles de ventes pour s’établir rapidement. Au-delà de la mécanique du marché, les artistes qui parviennent à s’imposer sont ceux qui parviennent à se créer une image, à comprendre la psychologie des collectionneurs et du marché. Aujourd’hui, on est en pleine financiarisation de l’art et le peintre est en passe de devenir un produit financier. Une ou des anecdotes sur le tournage de séquences difficiles? des drôles? Y-en-a-t-il eu des titres? Y-a-t-il eu des problèmes avec la police et la justice pendant le tournage? Le truc le plus chaud, c’est la première action avec See. On est en pleine circulation et on doit courir sur le rail avec très peu de temps avant qu’un métro ne nous percute dans un sens ou dans l’autre. On doit remonter limite à la station précédente par le tunnel pour accéder au dépôt. C’est hyper étroit, j’ai à peine la place pour courir sur le bas côté de la voie. Je ne situe plus le troisième rail à cause des cables. Je cours sur la voie et je me revoie en train de lui dire : “Y a du bordel et des fils partout. Je marche où ?” et lui me répondant : “Où tu veux, fais comme tu peux. Mais vite.” Je dois filmer en même temps. Ca devient compliqué. Il fait son action. On ressort. On reprend le tunnel. Il utilise le métro qui arrive comme bouclier. Je me dis s’il y a un arc, il va se carboniser. A ce moment-là, une lanière de mon pied de caméra se coince dans le rail. Ma main est prise car la lanière s’est croisée. J’arrive à me défaire mais pas à récupérer le pied de caméra. Je l’abandonne sur place. Je sors du tunnel. On remonte dans la station. Je me dis qu’à cette heure-ci il y a une chance sur deux pour qu’on se fasse intercepter. On sort du métro. On se pose au Mac Do pour boire. Ouf, c’est une bonne chose de faite. Next. Même si sur le coup c’était ludique et bonne ambiance, je me dis rétrospectivement, ça aurait pu mal tourner, c’est le tournage avec Zevs. Il décide d’aller faire des yachts sur la Côte. Là, il s’agit de dégradation d’un bien privé à plusieurs centaines de millions d’euros avec des équipages de mercenaires insomniaques, prêts à en découdre à n’importe quelle heure. Sur tout le film, j’ai été arrêté une fois en Belgique. Ni sur un plan train, ni sur un plan métro mais dans une piscine extérieure désaffectée dans un bled paumé. Le mec que je filmais fait du dripping sur les bords de la piscine jusqu’au moment où je vois les flics belges débarquer à 15 avec les pompes et tout. Ils somment de nous arrêter et nous prennent en joug avec leurs fusils. Fin de l’action direction la garde à vue. On est relâchés quelques heures plus tard. Je pense qu’il nous ont pris pour des Roumains ou des gitans venus chercher du cuivre. Dans les chapitres tristes, filmer avec la mère de Moka était un moment prenant. C’était moins d’un an après son décès. Elle est restée stoïque avec une vision assez juste de ce que peut être le graffiti. Qu’attends-tu comme réactions concernant ce documentaire ? J’ai pas d’attentes particulières. J’ai juste fait le film que je souhaitais. Est-ce que le documentaire sera en ligne? ou en DVD? Il y aura une sortie DVD en version plus longue avec des séquences que je n’ai pas pu mettre dans la version télé. Peintres et Vandales Slideshow ◄ Back Next ► Picture 1 of 6 MOSES & TAPS™ All Photos: ©Amine Bouziane